Vers où vos pas vous portent-ils ?
Par les chemins noirs
De l’Arrée
Où vont-ils les déments ?
Ils poussent des troupeaux souillés
Dans les vallons de tourbes
Et dans leurs caboches molles
Des cloches d’airain cognent
Des glas épouvantables
Et de torrides effrois
On les voit les déments du côté de Commana
De Botmeur ou de Brasparts
Leur panse pourrie de cidres amers
Et de vinasses violettes
Effrayant les corneilles
Que les épouvantails angoissent
Ils bavent comme des gargouilles
Des jurons fatidiques
Entre de hargneuses malédictions
Déments
Démons
Abandonnés
Boulimiques
Ethyliques
Ils traînent leur lourd célibat
Dans les hameaux sans femme
Nulle flamme ne brûle leur coeur
Nulle épouse n’attend leur pas
Ils vont dans leur propre pays
Comme des relégués et des maudits
Leurs guenilles griffées par les ronces
L’oeil mi-clos la bouche torve
Ils s’impatientent d’une vie trop longue
Dans la pluvieuse misère des Monts d’Arrée
Effarés
Oubliés
Damnés
De rares souvenirs parfois illuminent
Leur mémoire rabougrie
Ils songent aux jours anciens
Des avoines et des luzernes
Aux grandes faux lumineuses
Dans le golfe des hautes herbes,
Aux moissons triomphales, ils rêvent
Dans les étés criblés d’hirondelles
Au Jabadao, à l’an-dro des fêtes de nuit
Ils songent aux truites rieuses et aux rivières
Aux plaisirs des bretonnes enfances
Parmi les ogives les chênes et les hêtres
Et parfois raclant des colères
Sur leurs noirs chicots
Ces crapauds humiliés de l’ère industrielle
Crachent des venins dans les coquelicots
Ivrognes
Sourds
Lourds
Cramoisis
Les déments de l’Arrée sans descendance
Eteignent les vieux clans campagnards
Des gerbes et des meules
Ils ont refusé l’exil, l’usine et l’encan
Et leur vie qui marche a piétiné leur raison
Leur laissant le quignon la soif et la misère
Et les grands chiens galeux des désastres fermiers
Lèchent leurs pieds jaunes sous les tables rondes
Par les chemins noirs
De l’Arrée
Où vont-ils les déments
A quel orme
Pour quel suicide ?
Seuls ils rient tels des idiots
Des choses de la vie et des grimaces de la mort
Et l’aube bondissante les trouve ainsi
Affalés dans leur fêlure mentale
La soif des gnôles meurtrières et flamboyantes
Reprend alors leur esprit solitaire
Et c’est en titubant
A Botmeur Commana et Brasparts
Qu’ils arpentent les chemins du néant
Face à la haine des pierres et au cynisme des ifs
Nos déments, nos semblables, nos frères…
Xavier Grall – Les déments – Derniers poèmes (Calligrammes, 1982)
Noir. Breton. Merveilleux souvenir des enfances bretonnes. Sombre suite. Et à part ça le moral est-il bon ?