Zef ou l’apprentissage

Suite à ces premières odeurs de classe

Il se chuchotait dans les couloirs que Zef était cocu. Allez donc savoir ce que voulait bien pouvoir recouvrir ce mot !  C’était l’époque où Georges Brassens chantait « le pornographe du phonographe ». J’étais en vacances chez les parents d’une copine et, malgré mes questions répétées sur le sens du mot pornographe,  je n’obtins qu’une seule et unique réponse : « ce doit être le pavillon du phonographe ». Je n’y croyais pas trop car ils avaient un bizarre air gêné. De retour chez les parents il me fut répondu clairement. Oh ben dites donc, quelle découverte ! [*]

Pour Zef, en confiance, je demandai aux parents. Réponse rapide « vous n’avez pas à colporter les ragots ». Bon. Question à frère aîné (aurais dû commencer par là…), réponse claire. Ah la vache, Zef est cocu ! Et bla, et rebla, et explications aux autres de la part de « la fille qui connaît la vie ». Que de minutes de gloire ai-je vécues ainsi !

La route étant longue pour aller de la maison à l’école et vice-versa, il nous sembla absolument indispensable  dès Alcools, Apollinairelors de tirer la sonnette de Zef et Madame Zef ; sonnette au portail, au bout d’une longue allée menant à leur maison. Bien entendu, forfait accompli, nous pédalions comme Bobet. Au moins. Ou Fangio. Ben quoi ? Fangio ne pédalait-il pas ? Nous ne sûmes jamais si Zef prenait encore la peine d’aller voir. Si les ragots étaient fondés. Je ne pris pas la peine de réfléchir au mal que je faisais en apportant ma contribution à la délation et au quolibet. Jusqu’au jour où, grandissant, je surpris, en passant par un couloir de l’école nationale de mon père, une suite de mots d’abord chuchotés, puis scandés à voix de plus en plus haute : « tiens v’là la fille de l’ivrogne ».

Inutile de me retourner pour voir. Il s’agissait bien de moi. Chez mon père, alors encore excellent enseignant, comme chez nous, la famille, commençaient à se voir les stigmates de son long suicide par l’alcool.

J’arrivai à traverser la haie hostile de ces garçons qui se divertissaient tant en colle en ma compagnie, mes potes, mes amis, mes copains du dimanche dont bon nombre furent un par un ou deux par deux reçus, nourris et réconfortés par mes parents, correspondants généreux de ces pensionnaires éloignés de chez eux. Je résolus dès lors d’en remettre une couche dans l’indiscipline, le mépris affiché et les bonnes notes (pas en maths, faut pas rêver) pour faire voir ce que valait « la fille de l’ivrogne ». Mon plus grand chagrin fut de penser aux petits noms donnés à mes frères. Mais frère aîné resta à l’abri, écrasant tout le monde par ses moyennes honteusement élevées et ses mentions « excellent » lassantes à force de se répéter. Petit frère bénéficia d’un déménagement.

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[*] Pour la « P… respectueuse » même combat. « P » ???? Etions-nous ignares alors, je ris en pensant à l’abîme dans lequel me plongèrent ces explications de texte ! Merci aux parents de ne jamais avoir été bégueules.

2 commentaires sur “Zef ou l’apprentissage

  1. Le premier article sur Zef avait déclenché un grand enthousiasme, pour celui-ci c’est le grand silence. Je le comble : il faut avoir atteint une grande sérénité pour se raconter ainsi et avec tant de talent. Continues.
    Un admirateur

  2. Merci. Pour la sérénité, il faudra repasser plus tard…

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