Lettre à mon père (14)
Isabelle est dans leur beau jardin, elle porte un pull collant suggestif, et regarde son bras. Des yeux verts, des cheveux bruns. Elle est contente de me voir arriver. C’est dimanche, la journée que je passe à distance de ma maison – et de mes racines ; mais ça, je ne le sais pas encore. Comme je ne sais pas encore sa force de persuasion. Comment savoir qui elle est, si je suis moi-même dans le froid du brouillard, d’où je me réfugie chez elle ?
Nous en vivrons des soirées innocentes et oublieuses, chez Ursula à Sonville. C’est-à-dire, sans doute, aux confins de Baden, où le jardin très en pente, à l’arrière de la maison, m’a fait dévaler et me casser le bras contre un pied de table de jardin. La religieuse de la clinique déchire le plâtre, sans égards pour ma forte appréhension.
Les années qui nous marquent, vois-tu, d’autant plus que nous les laissons s’ imprimer dans notre cerveau – pour toujours. Ou comment s’y opposer ?
On naît comme on est ; c’est le ‘cadeau’ du ciel, et il faut faire avec.
A Noël, tu es le seul à ne pas – ou très peu – entonner les chants de circonstance ; pourquoi donc ? – Sans doute parce que tu n’as jamais appris !
Ce que tu as aimé, de cette belle Forêt Noire, tu nous l’as montré bien des fois. Mais était-ce toi qui initiais ces randonnées en voiture ?
Toi qui as fondé, avec des collègues du Lycée, la 1ère section du SNES en zone d’occupation. Ce qui me ramène, une fois encore, à ton sens de l’engagement. Mais faut-il être à l’image de son père ?