Et encore un cadeau ! Une autre tendre histoire écrite par l’amie Adeline Ribierre et dédiée à ses quatre enfants. Adeline qui, rappelons-le, a publié plusieurs recueils que l’on peut (que l’on doit ;o) trouver ICI ! Merci Adeline.
CHAPITRE TROIS
— Non ! crie Loa-Doa.
Paniqué, il se met à courir comme un fou à travers le jardin, parcourt les allées de long en large, soulève les feuillages, cherche derrière les rochers…
Personne.
— Au secours ! hurle-t-il. Au voleur ! Au voleur !
Le vieux Siloa-Lao sort de sous son chapeau, qu’il avait sur le nez. Il cligne des yeux comme un hibou au soleil.
— Que dis-tu, mon petit ?
— Encore une ! C’est affreux ! Une reine-marguerite, il l’a tuée ! Le voleur l’a tuée ! J’ai bien surveillé, je le jure !
A ses cris, d’autres Farfadets qui se promenaient dans les allées ou dans la forêt proche accourent. Tous sont atterrés.
— Essayons de ne pas nous affoler, dit le vieux Gardien en s’épongeant le front. Je suis désolé, mais je vais devoir procéder à une fouille de tous les visiteurs.
La stupeur se peint sur tous les visages.
— Il est tout à fait impensable qu’un Farfadet soit le voleur, voyons ! proteste une Farfadette aux longs cheveux blond-roux coiffés en queue-de-centaure.
— Bien sûr, bien sûr, murmure Siloa-Lao en secouant la tête d’un air navré. Je dois juste appliquer le règlement, c’est mon travail.
Tout le monde avait oublié le règlement, et même son existence. Depuis plus de mille cinq cents ans, aucune fleur n’avait perdu son cœur, et voilà qu’en trois jours, c’est arrivé deux fois !
Il y a mille cinq cents ans, c’était un Farfadet devenu fou qui avait commis ce crime impardonnable. Il avait été capturé et ensorcelé par un sorcier vivant au lointain Gouffre des Colonnades ; sur ses ordres, le pauvre Farfadet avait volé douze précieux cœurs pour les rapporter à son maître, sans même se rendre compte de ce qu’il faisait. C’est Manoadeli, jeune encore à l’époque, qui l’avait délivré du sortilège. Triste histoire.
Les Farfadets se regardent, et se demandent si l’un d’eux a été manipulé par un sorcier.
— Allons, allons, bougonne Siloa-Lao. C’est juste une formalité. N’allez pas vous mettre martel en tête.
Mais il est tout pâle et son menton tremble. Avec l’aide de Loa-Doa, il fouille soigneusement les vêtements de chaque personne, prenant bien garde de ne pas les déchirer. Ils sont faits d’écorces de bouleau, de feuilles d’érable liées par des tiges de lierre, de touffes de graminées. Il serait bien difficile d’y cacher une pierre précieuse.
En effet, ils ne trouvent rien. Le voleur s’est enfui.
— Mais, Siloa-Lao, gémit le jeune Farfadet, c’est impossible ! Il n’y avait personne d’autre ! J’ai compté toutes les fleurs, il n’en manquait pas une, et puis j’ai pris un instant pour boire à la source, et juste après… la marguerite avait perdu son cœur ! Le massif est tout près de la source, j’aurais dû voir, ou entendre…
Quelque chose lui revient en mémoire.
— La fumée… J’ai senti une odeur de fumée…
Le vieux Gardien lève un sourcil étonné.
— Quelqu’un d’autre a-t-il senti cette odeur ?
Tous les Farfadets disent non.
— Tout cela est très étrange. Allons donc voir de plus près…
Au pied du massif de reines-marguerites, Siloa-Lao examine le sol. Aucune trace de pas sur la terre, à part celles de Loa-Doa. Comment le voleur a-t-il fait pour s’approcher ?
Le vieux Gardien caresse d’une main tremblante la malheureuse fleur, et tandis qu’il se penche, il remarque lui aussi une légère odeur de fumée.
— Là, fait une Farfadette. Regardez, cette feuille est noircie.
Tous s’approchent : pas de doute. La feuille est brûlée.
Qui a pu introduire le Feu dans le Jardin ?
Tout le monde se regarde avec angoisse.
Le voleur marche sans laisser de trace, est invisible et brûle des feuilles.
Le vieux Siloa-Lao brise le silence. Il se redresse, déplie son dos voûté et annonce d’une voix forte :
— Il faut renforcer la Garde. Un seul pour surveiller, c’était très peu, deux ce n’est encore pas assez. Soyons douze à surveiller le Jardin.
Aussitôt, deux des promeneurs se proposent. Les autres s’en vont à la recherche de volontaires.
Siloa-Lao entraîne Loa-Doa à l’écart.
— Je suis désolé, petit, je n’aurais pas dû te laisser tout seul.
— Il faut bien dormir de temps en temps, ce n’est pas votre faute ! fait le Farfadet en se frottant les yeux. J’ai encore échoué… Oh ! Misère ! Par la pelote de la grande Chouette…
— Qu’y a-t-il ?
— La Sage Manoadeli… Elle m’avait dit… Je… Je dois retrouver le coupable, Siloa-Lao ! Elle l’a dit ! C’est moi qui dois le trouver ! Comment vais-je faire ?
Le Gardien se gratte la tête, ennuyé.
— Eh bien, heu… mon garçon… Je n’ai fichtrement aucune idée de qui ça peut bien être. Nous voilà bien… Je pense qu’il faudrait réunir le Conseil…
— Non ! Non. J’ai laissé par deux fois un voleur pénétrer dans le Jardin Précieux. Je dois me racheter. Je retrouverai le voleur avant sept jours, ou bien je partirai et marcherai droit devant moi, jusqu’à sortir de la Forêt Magique, pour n’y plus jamais revenir.