Et encore un cadeau ! Une autre tendre histoire écrite par l’amie Adeline Ribierre et dédiée à ses quatre enfants. Adeline qui, rappelons-le, a publié plusieurs recueils que l’on peut (que l’on doit ;o) trouver ICI [clic !] ! Merci Adeline.
CHAPITRE SIX
Loa-Doa a remercié chaleureusement la licorne, s’est excusé de tout son cœur auprès de Karkari. Comme elle le menaçait de lui arracher sa chevelure pour s’en faire un nid, il a promis de lui rapporter un magnifique bijou pour se faire pardonner.
Me voilà bien, pense-t-il. J’avais déjà une mission difficile, et maintenant j’en ai deux ! Depuis deux jours, il marche tout seul dans la Forêt, au hasard. Il a grignoté des champignons et des fraises des bois, par-ci par-là, mais le cœur n’y est pas. Et le feu ? se dit-il. Comment une pie aurait-elle pu brûler des feuilles ? J’ai été vraiment idiot…
— Tu auras au moins appris quelque chose, lui chuchote quelqu’un tout près de l’oreille.
Loa-Doa sursaute et tourne la tête. C’est une libellule bleue, brillante, avec de gros yeux qui lui mangent la figure.
— D’abord, il faut réfléchir avant de faire quelque chose. (Si tu l’avais fait, tu auras repensé à cette histoire de brûlé). Ensuite, il ne faut pas accuser quelqu’un sans preuve. Sinon, tu le blesses et tu t’en fais un ennemi. Allons, courage et bonne chance.
Loa-Doa hausse les épaules. La libellule n’a pas tort, mais maintenant ça ne l’avance pas à grand-chose. Qu’est-ce qui aime les pierres précieuses, qui ne laisse pas de trace, qui passe inaperçu et qui brûle… Il tourne et retourne l’énigme dans sa tête sans trouver de réponse.
Soudain, au détour d’un bosquet de noisetiers, quelque chose d’horrible lui saute au nez. Ce n’est pas quelque chose de solide, de matériel, et pourtant c’est tellement puissant qu’il a l’impression d’avoir reçu un coup de poing au milieu de la figure. Sauf qu’un coup de poing, une fois que c’est fini, c’est fini… Alors que là, ça dure, ça dure… Ca empire, même !
Horrifié, Loa-Doa met ses mains sur son nez pour ne pas sentir cette odeur abominable qui l’a frappé de plein fouet. Peine perdue ! Elle rentre par la bouche, par les oreilles, elle lui remplit l’estomac et lui donne très, très mal au cœur. C’est tellement fort et tellement immonde que le pauvre Farfadet est cloué sur place. Il est si occupé à essayer de ne pas vomir qu’il n’a pas l’idée de s’enfuir à toutes jambes !
C’est alors qu’il LE voit. A quelques pas, au milieu d’un entrelacs de fougères. Gigantesque. Deux fois grand comme un humain, cinq fois comme un farfadet. Dégoûtant avec son pelage beige-marron qui n’a jamais été lavé, au milieu duquel grouillent des asticots, des poux et des puces par centaines.
Un Yéti. Loa-Doa veut crier mais pour ça, il lui faudrait aspirer une bonne bouffée d’air. A éviter à tout prix. Le Yéti le regarde, voûté, ses longs bras ballants, l’air un peu triste et stupide comme tous les yétis. Loa-Doa entend dans sa tête la voix de sa nourrice qui lui disait, étant petit :
— Les yétis ne sont pas agressifs, ils ne se lavent même pas pour ne pas déranger les bestioles qui vivent dans leur fourrure. C’est dire s’ils ne feraient pas de mal à une mouche. Par contre, le problème, c’est leur odeur… Une odeur pestilentielle, à vous rendre malade. Et c’est très difficile de s’en débarrasser.
Ainsi parlait Aelo-Miya.
Enfin, les jambes de Loa-Doa, paralysées par l’horreur, se décoincent un peu. Il tourne les talons et se met à courir à toute vitesse. Il n’ose même pas regarder derrière pour voir si le géant le suit. De toute façon, ce n’est pas la peine : il entend les pas lourds résonner derrière lui, et les brindilles qui craquent sous le poids du grand corps échevelé. Le Yéti lui court après. « C’est très difficile de s’en débarrasser ». De l’odeur ou du yéti ? Tout en essayant de semer le monstre, en se faufilant dans les taillis, en sautant les obstacles, en zigzaguant entre les troncs, Loa-Doa se demande ce qu’avait voulu dire Aelo-Miya. Et puis, si le Yéti n’était pas agressif, pourquoi le poursuivrait-il ainsi ?
Les pas du géant se rapprochent. Le Farfadet a beau faire, il est si petit que dix enjambées pour lui n’en sont qu’une pour le Yéti. Alors, il repère un conifère, un cèdre, avec des branches serrées, un véritable escalier pour un bon grimpeur comme lui. Pour l’autre derrière, ça ne doit pas être accessible. Loa-Doa saute sur les premières branches et se met à grimper comme un chimpanzé, rendu encore plus leste par la peur. Pourvu qu’il y a du vent frais là-haut ! souhaite-t-il, encore nauséeux. Car dans le coin, ça sent toujours aussi mauvais.
A bout de souffle, Loa-Doa s’arrête enfin et regarde en bas. La grosse tête du Yéti est déjà là, à mi-hauteur de l’arbre, alors que ses pieds sont toujours au sol. Pas juste, pense le Farfadet tandis que des petites taches noires dansent devant ses yeux. Il empoigne une branchette et la plaque sur son nez. Les conifères sentent si bon la résine que l’abominable odeur est un tout petit peu masquée. Le Yéti le fixe encore d’un oeil rougeaud et mélancolique. Un petit ver rose lui chatouille la paupière en se tortillant, alors il lève un gros doigt sale pour le repousser doucement. Une tique en profite pour se glisser sous son ongle.
— Mmmbeeerk ! gémit le malheureux Farfadet. Mais qu’est-ce qu’il veut ?
Soudain, l’énorme Yéti tend un bras vers lui. Il ne manque que quelques centimètres pour qu’il le touche !
— Nnnon ! Va-t’en ! Bâââh ! couine Loa-Doa en agitant une main fébrile.
Le géant retire son bras. Et se retourne lourdement. Il commence à s’éloigner. Ouf ! Loa-Doa le regarde partir. C’est alors qu’il l’entend renifler et voit bouger ses épaules. Mais… Il pleure ! Le Farfadet est tout remué. Qu’est-ce qu’il a, ce grand machin, à pleurer comme ça ? Remarquez, c’est vrai que ça ne doit pas être drôle, de faire fuir tout le monde.
— Euh… Hé ! articule Loa-Doa, la branchette toujours plaquée sur son nez.
Le yéti se fige.
Mais qu’est-ce qui me prend, moi ? Il était en train de ficher le camp, et comme un idiot, je le rappelle !
— Qu’est-ce que, heu… tu voulais, au fait ?
Le Yéti hausse les épaules et baisse le nez. Un grognement incompréhensible sort de sa fourrure.
— Pardon ? Je n’ai pas bien entendu…
— GRMPHF… UN CÂLIN. MOI VOULOIR UN CÂLIN.
— ?!?!
Encore plus voûté, le Yéti s’apprête à partir. Alors, sans trop réfléchir, Loa-Doa aspire une bonne goulée de parfum de cèdre, bloque sa respiration, dégringole toutes les branches de son arbre, rejoint le Yéti, lui saute dans les bras, le serre de toutes ses forces, redescend à terre, s’enfuit à toutes jambes jusqu’à une petite mare toute proche où il se jette, la tête la première. Lorsqu’il émerge, rouge comme un coquelicot et prêt à éclater, alors seulement il se remet à respirer.
Il ne voit pas le sourire qui éclaire la bonne grosse figure du Yéti et qui, ma foi, le rend presque (enfin… oui, bon, presque) beau.