Lettre à mon père (9) – Roland Bideau

Cette chemise blanche, comme suspendue dans le vide noir de la chambre – accompagnée des pas bruyants sur le parquet, c’est celle de mon frère aîné- je le comprendrai beaucoup plus tard. Mais alors, j’avais choisi la frayeur au lieu des mots, au lieu de questionner ; j’étais débordé par la peur, par l’imaginaire – loin du réel. Me voila marquant une donnée essentielle de ma structure personnelle : croire que je vis le réel, au lieu de me l’aproprier, pour aller ma route et faire mes choix. Soit : mais la peur, c’est la figuration de la distance qui me tient loin des autres, loin de mon frère aîné, et loin de moi-même au sein de cette famille !

Et puis, ce frère aîné, il est brillant, il est en khâgne à Lyon, il fait l’admiration de sa mère, de ses parents. Il mène une vie dont j’ignore tout . Car il y a une sorte de déficience dans le système de communications dans cette fratrie – enfin, c’est ce que je dirais à ce jour.

Une autre scène : je suis en promenade avec mon second frère, et ma sœur aînée. Mon frère s’approche de moi pour me parler, et je m’écarte, incapable d’entrer en communication ! Il marque un geste d’étonnement, car sa démarche était un signe d’intérêt pour moi ; mais je ne dois pas le côtoyer souvent – je suis adolescent, alors. Et je me tourne vers ma sœur.

Le nœud est en train de se nouer ; le brouillard en moi est déjà dense. Mon frère m’est étranger – ça veut dire : je suis étranger à moi-même.

Dans les Vosges, une guêpe m’avait piqué à la cuisse, bien enflée ; mais ma mère m’a simplement envoyé promener…

5 commentaires sur “Lettre à mon père (9) – Roland Bideau

  1. Ces lettres,terriblement subtiles,montrent un mal-être. Pourquoi une telle souffrance? Une personne qui s’interroge ainsi sur son passé ne peut être qu’une belle personne, quelqu’un de bien. On sent le désir de ne pas décevoir les siens, d’être accepté. Les aînés ont certainement vécu sans se poser la question de l’intégration du cadet dans la fratrie tant cela semble une évidence, un postulat incontournable. Il était là !
    Ces lettres sont émouvantes car nous avons tous un passé à « remuer » ou pas.
    Une chose est certaine, Cher Auteur, vous avez fait des émules dans la chronique, l’un racontant son enfance, l’autre concoctant des élucubrations hilarantes sur un monde à l’envers.
    En tout état de cause, merci, vos propos ne laissent pas indifférent.

  2. Ah! C’est bien de vous lire car je partage tout à fait vos sentiments. Les pages de Roland touchent quelque chose profondément encore meurtri et aident à apaiser. Merci à lui et comme vous le dites, à tous ceux qui me font l’honneur de s’exprimer dans la chronique à partager sans frein.. Signé La fargussienne

  3. Vous avez raison, car tout est dans l’envie de partager, de réfléchir, de comprendre, de poser et d’ouvrir de lourdes valises longtemps traînées, de s’amuser aussi, et ensemble ça marche mieux que tout seul… Vive la Chronique la plus accueillante de France, et merci à sa gentille cheffe d’orchestre, qui sait si bien ouvrir la porte ! ^^

  4. Grand merci à GAMBERO pour son commentaire à la fois subtil et si humain. MERCI pour votre empathie -Votre commentaire mobilise mon attention très amicale – Roland
    Et tellement d’accord pour le compliment de l’écrivaine Adeline à la modératrice de tous ces textes !
    Roland

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