Vers la fin des années 70, deux de mes frères et soeurs avaient passé un bout de vacances dans une sorte de hameau-ferme-communauté, une petite implantation de la Communauté de l’Arche (Lanza del Vasto) en Aveyron.
Lanza del Vasto, était un artiste, poète et philosphe italien. Il défendait la non-violence. Il a vécu quelque temps en Inde auprès de Gandhi, et a fait une sorte de voyage initiatique jusqu’aux sources du Gange, raconté dans un livre passionnant (je l’ai lu il y a, heu… une vingtaine d’années : Pèlerinage aux Sources). Là il aurait eu une sorte de révélation, et il est revenu en Europe fonder la communauté de L’Arche. Les gens devaient y vivre en paix, dans le partage, le travail et la confiance en Dieu, la préservation de la nature, et surtout dans le respect de la Non-Violence. Ils accueillaient les gens de passage, qui devaient simplement participer au travail collectif. Rien d’une dangereuse secte, juste des gens qui vivaient leurs idéaux sans rien imposer à personne , à une époque qui permettait ce genre d’expérience.
Il y a eu plusieurs « fermes », celle où je suis allée se trouvait près de Millau. Ma grande sœur, qui avait été emballée, avait réussi à décider ma mère à y aller passer une quinzaine, avec nous deux, un été. Ce petit séjour reste l’un des souvenirs les plus enchanteurs de mon enfance.
C’était un petit ensemble de jolies maisonnettes de pierre au milieu d’un paysage aride et magnifique : les Causses du Larzac. Des cailloux, des herbes sèches, des paysages grandioses, encore des cailloux, de grandes fleurs jaunes « cardabelles » dépourvues de tige et posées au ras du sol, entourées d’une auréole de feuilles piquantes. La cueillette en est aujourd’hui interdite… Et les grandes graminées sèches appelées là-bas « cheveux d’anges », avec un épi plumeux, long et blanc, flottant à la moindre brise, qui devenaient orangées devant le soleil couchant… et les longues marches pour aller chercher l’eau à la source (la même eau qui servirait à boire, à laver les légumes, à faire la vaisselle, la toilette, laver le linge…). Les repas et le travail en commun… Les brebis, les chèvres, la fromagerie, les enfants qui couraient en liberté… Il y avait une petite fille de deux ou trois ans, adorable, qui se promenait toute nue dans la cour. Elle avait des cheveux blonds bouclés tout légers, comme les cheveux-d’anges, elle était libre, insouciante et heureuse, tout le monde s’en occupait… Et deux ou trois autres plus grandes, qui étaient devenues mes copines. L’une d’elles m’avait donné une petite Bécassine en laine que j’ai gardée jusqu’à l’âge adulte… Et les coups de gong, toutes les demi-heures, qui faisaient soudain s’arrêter tout bruit et toute activité pour quelques minutes de prière ou de méditation… et la « cérémonie » du dimanche, dans une magnifique salle de pierre voûtée, consistant principalement en musique, chants et guitare… Il y avait aussi une grande jeune femme Alsacienne aux longs cheveux bruns, travailleuse et douce, qui vivait là pour quelque temps, et le soir, elle prenait tous les enfants pour leur lire les aventures de Delphine et Marinette, c’est à dire les Contes Bleus du Chat perché, de Marcel Aymé. C’est là que je les ai découverts… Et je les lis encore à mes enfants.
Pour moi c’était tout simplement le paradis. J’aurais voulu ne jamais repartir ! Quelle paix, quel bonheur… Pour ma mère, ça a été une belle expérience, un peu dure (je me souviens qu’une fois elle a « craqué » et nous avait emmenées acheter deux ou trois packs de bouteilles d’eau minérale pour avoir une VRAIE douche (froide), il faisait 40 degrés ! ;o) mais je trouve qu’elle a été très courageuse de partir dans cette aventure, surtout avec l’éducation classique qu’elle avait reçue.
Voilà ! Ca reste tellement un moment lumineux dans ma tête que j’ai voulu y emmener mari et enfants un été, il y a de ça bientôt 10 ans. Ma petite 3e avait 2 ou 3 mois. J’ai réussi à retrouver le hameau. J’ai été fort déçue… Il restait une ou deux familles, ils faisaient encore du fromage et du pain, mais la profondeur spirituelle et philosophique de mon « U-Topie » m’a paru bien diluée au profit d’un militantisme un peu plus basique et sans beaucoup d’espoir- à mon sentiment. Mais peut-être tout simplement n’avais-je plus des yeux d’enfant émerveillée pour voir tout cela… Sans doute que cela ne pouvait durer. Snif ! Du coup, j’avoue un vilain méfait de consolation que je n’arrive pas à regretter : m’être écorché les doigts pour arriver à cueillir une cardabelle, toujours accrochée depuis à ma porte d’entrée (comme c’est la tradition sur le Larzac)…
Que de souvenirs !!! Merci. Je n’y suis jamais allée mais mon frère aîné et moi étions très proche de ce mouvement (religion à part mais belle était la liberté de choisir).