Dans mon petit bourg de montagne nous allions, après la maternelle (mixte) et le primaire (mixte), au collège (mixte). Ensuite viendrait le lycée (mixte), puis la suite. Une progression impressionnante ! Et magnifiquement mixte !
Pendant toutes les années collège, le prof d’histoire-géo fut Zef. Il avait vu passer toute la famille. Idem pour La mère Dum en anglais et le Père Dum en physique-chimie. Ce dernier récompensait chaque bonne note par une pile (usagée – il était un brin sourd mais pas dépensier). Mon frère aîné accumula un tas de piles mortes. Longtemps après il se demanda pourquoi les parents avaient conservé de tels improbables trophées… Je n’ai jamais eu de pile ;o)
Mais revenons à Zef. Ennemi juré de notre père, enseignant dans les mêmes murs. Et réciproquement. Cette animosité eut sans aucun doute des répercussions sur nous ; frère aîné le traita par l’humour et s’en sortit bien. J’optai pour l’indiscipline qui me valut de nombreux dimanches entiers de colle. Savait-il, Zef, qu’en me punissant ainsi, il me procurait des occasions fabuleuses de passer des journées entières au milieu des pensionnaires (garçons) de l’école nationale dont le collège partageait les locaux et dans laquelle mon père officiait ? Frères à la maison, copains des champs et des bois, garçons à l’école, un régal.
La salle de colle du dimanche était vaste, elle devait accueillir tous les pensionnaires sans correspondants à l’extérieur. Le plancher, les tables et les bancs étaient en bois sonore, le surveillant (le dénommé « Sang de boeuf » la plupart du temps) juché sur son estrade, le poêle ronflait dès l’automne. Garçons et filles, tous en blouse, ce qui montre que La fargussienne n’est pas née de la dernière pluie… Au moins une fois par colle, le surgé montrait le bout de son nez et repartait. Comme le directeur, il habitait dans les murs de l’école. Après son passage, mes voisins de table et moi nous replongions avec délice et frémissements dans la lecture à voix basse de livres « osés » que j’introduisais en fraude dans la salle : les chansons de Bilitis de Pierre Louÿs, avec illustrations, pour l’époque coquines, Gargantua en v.a. (version adulte), « Fay ce que vouldras »… et le magnifique Beaudelaire des Fleurs du mal en v.a. itou et non plus rudement expurgées. Un coup de bol, mon père n’a jamais eu besoin de ses bouquins à ces moments-là ! Ou alors il riait doucement en voyant les vides dans les rangées de livres reliés couleur bordeaux ; il y avait quelques interdits à la maison mais très peu, le goût de lire balayait toutes les réticences…
La colle achevée, je pédalais comme une folle pour parcourir le long chemin vers la maison et remettais en douce les « interdits » à leur place. Jusqu’à la prochaine !
Waouh!
Des souvenirs comme ça, c’est extraordinaire!
Tu as bien raison de les mettre en mots, ça sent l’encre séchée, les odeurs de classe, la cire vieillie des bureaux en bois.
ça sent aussi les rires en douce, cachée derrière une manche de blouse grise.
Nostalgie?
Merci en tous cas, c’est fabuleux.
Nom d’un Zef, merci pour ce superbe commentaire, émue ze suis.
Très joli texte, on s’y croirait !
Merci lecteur Pascal, c’est trop, entre Béa et toi… Il est vrai que, sans nostalgie extrême, je me vois dans la salle de colle comme si j’y étais, c’était super quand j’y pense !
Te lire me plonge dans l’atmosphère vieillie à l’odeur de livre poussiéreux et de bois nobles qui régnait dans les salles de classe d’hier…
Aujourd’hui, on vaque entre les relents des désinfectants chimiques et des matériaux en PVC…
Nos enfants n’auront pas de souvenirs odorants et solides… Que de l’hygiénique et du jetable…
Ton histoire s’inscrit dans le temps, car ancrée dans des meubles éternels. Tes souvenirs y sont gravés pour toujours.
Tout comme le poêle au coin de la classe, ça réchauffe tout entier, intérieur et extérieur.
Merci
Ben là, vous me donnez tous envie de continuer ! Merci pour toutes ces gentillesses, vraiment !
C’est vraiment un très joli texte et vraiment très bien raconté! Mais je pense que je ne connaitrai jamais des histoires comme ça… :'(
Mais si sûrement mon ami François, tu en connais d’autres ! Si tu as envie de raconter, tu sais bien que mes pages te sont grandes ouvertes !