Là-haut dans mes montagnes, l’était un vieux chalet… Enfin non, les voisins de droite, venant empiéter un jour sur notre territoire protégé, (le terrain familial plus tout l’espace libre alentour, jusqu’aux fermes voisines, loin, quoi !) avaient construit un grand chalet moderne. Ils avaient trois garçons, l’aîné de l’âge de frère aîné, le dernier du mien et celui du milieu était au milieu. Pour faire clair et bref, pendant que mes parents fabriquaient deux enfants en trois ans, eux en fabriquaient trois et cassaient le moule. Petit frère n’eut pas d’équivalent et n’en a toujours pas d’ailleurs, « mais « ceci est une autre histoire…«
Notre père les baptisa vite « les Pieds Nickelés« , BD d’époque. Le dernier Pied, celui de mon âge, geignait sans cesse, même pas cap de prendre des gnons sans chougner. Pas drôle mais sous la garde des deux autres, donc TOUJOURS LA ! Celui du milieu était sauvage et parlait peu mais était efficace dans la construction de cabanes en bord de ruisseau, cabanes en clématite sauvage que nous avions baptisées « les singes élastiques » tant les lianes remplissaient leur office de transporteuses de gamins sautillants. Nous franchissions « en liane » le ruisseau-frontière entre le monde des parents et le nôtre. Le plus grand Pied était blond et maigre comme un coucou mais bon, quand les copains du bord d’Arve n’étaient pas disponibles, ceux-là faisaient quand même l’affaire. Ma mère redoutait leur passage à goûter car, leurs parents travaillant et sautant sans doute ce moment vital dans la vie des aventuriers, ils faisaient table rase des tartines beurre chocolat et elle se débattait entre l’envie de leur interdire de se resservir aussi abondamment et celle d’alimenter ces pauvres hères blanchâtres…
Les trois Pieds Nickelés s’entassaient à l’arrière d’une 4CV et nous assistions goguenards à leur mise en boîte à chaque départ en vacances. (Chez nous, après une Traction Avant noire d’occase genre gangster d’époque, il y eut une « vaste » Juva 4 suivie d’un monstre à sièges en skaï : une Dyna Panhard.) Une année, ils emportèrent en douce un passager clandestin recueilli la veille des congés. Une demi-heure après le départ, nous assistâmes ébahis au retour de la boîte de conserve à roulettes et à l’expulsion des garçons et du hérisson à puces. Les trois PN furent condamnés à virer manu militari le vacancier indésirable, vider entièrement la voiture, la passer au peigne fin, la laver dedans et dehors puis la re-remplir. ils repartirent, sans incident ce coup-ci.
Nous communiquions d’une maison à l’autre par un réseau téléphonique qui courait de la fenêtre des toilettes chez eux à celle de la chambre de frère aîné chez nous. Ce réseau performant fonctionnait à merveille par tout temps mais se révéla avoir des fuites car, suite à un plan fabuleux de vadrouille de nuit, nous eûmes la surprise de trouver les parents rigolards (rigolards, enfin, les nôtres) bloquant la porte d’entrée par laquelle nous avions prévu de sortir. Depuis ce temps-là, plus de confidences au téléphone. On ne sait jamais qui écoute ! Plus de confidences du tout d’ailleurs, c’est plus sûr.
Vinrent les débuts de l’adolescence et le grand PN me sembla à peu près potable pour une idylle et réciproquement. Celui de mon âge continuait à chougner, celui du milieu à se taire, donc… Mais vite, notre grande histoire d’amour tourna court tragiquement. Un soir j’entendis ma mère dire à papa qu’il y avait des problèmes chez les voisins : J-M , 14 ans, avait une dent molle. Je trouvai ce scoop à hurler de rire et, ni une ni deux, ne résistai pas le lendemain, sur le chemin de l’école, à fusiller le potentiel Apollon des montagnes en révélant aux autres que, ouaf, ouaf, J-M en avait une… Cuisante fin d’aventure, je me pris LE coup de pied aux fesses de toute ma carrière. Pas du mou ! Nous ne nous pardonnâmes jamais ces affronts réciproques. Il tourna désormais la tête chaque fois qu’il me croisait. Pour ma part, je le classai rapidement dans la catégorie « à la poubelle », trop moche avec sa dent molle !