Dessin d’art avec Le Navet

Carton à dessinDans mon petit collège logé au sein des vastes bâtiments de l’Ecole Nationale il y avait des cas et je vous certifie que rien n’est inventé dans ce que vous raconte. « Graines d’asile » murmurait frère aîné en jetant un regard hautement dédaigneux sur l’ensemble des professeurs, père compris. Je n’avais pas cette hauteur de jugement, j’aimais trop m’amuser à l’école !

Il faut dire que, du Père Dum à La mère Tyrode en passant par Zef, la vie n’était pas triste au quotidien. Je vous épargnerai le  professeur d’allemand dingue qui fit fuir ses élèves, rapatriés d’urgence en « italien seconde langue » (faudra que je vous raconte La Cavalla et Roméo !) et Monsieur B., prof de gym qui nous faisait marcher à grands pas pendant tout le temps du « plein air », deux heures par semaine quand même, en plus des cours de gym, lui nous suivant mollement à bicyclette… Le sport par l’exemple !

Pour le dessin d’art (sic) nous avions la chance de nous exprimer dans l’imposante salle aux nombreuses hautes fenêtres et sur les grandes tables inclinées des élèves de l’Ecole Nationale. On se sentait pros d’un coup d’un seul, juchés que nous étions sur les hauts tabourets à vis qui permettaient non seulement de jouer au derviche mais aussi de dominer le prof en oubliant malencontreusement de rabaisser l’assise…

Deux heures hebdomadaires de dessin d’art, Le Navet s’y collait. Le Navet, originaire de l’Ain, au grand désespoir de ma mère, ventre jaune également mais dont la bonne mine faisait honneur à leur pays, était, pour sa plus grande malchance scolaire, végétarien. Grande tige étroite sans épaules et sans hanches, tout en jambes maigres, pâle comme sa longue blouse blanche, il était facile à l’ensemble de l’école de trouver de bonnes raisons à son apparente mauvaise santé, la fréquentation de la montagne et du grand air faisant de nous tous des amateurs d’art à joues rouges pleins de vigueur. Le Navet nous semblait friable et, malgré notre goût de la critique acerbe, nous le couvions discrètement du regard afin qu’il ne se casse pas en descendant de l’estrade. A notre connaissance et en dépit de nombreuses enquêtes réprobatrices, il nous semblait résolument célibataire.

Un jour nous dessinions la Moldau pour illustrer la découverte de Smetana, un jour des pommes assorties à nos joues, un jour nous nous appliquions avec délice à réussir l’alphabet gothique à l’encre de Chine, un autre jour encore c’était dessin libre ; c’était là le meilleur moment. Nous avions un  grand carton à dessin (je ne vous dis pas la gymnastique pour tenir un guidon et un carton à dessin en même temps… il fallait bien lâcher quelque chose et ce fut souvent le guidon, on me disait que ça ne se faisait par pour une fille  !) plein de grandes feuilles de papier Canson de grains différents, un té, un triple décimètre et une règle, des crayons HB (mes initiales, la gloire, déjà), une estompe, de l’encre de Chine et de la gouache en pastille ou en tube. Un godet pour l’eau, une palette pour faire de savants mélanges, des pinceaux, une brosse et un chiffon pour essuyer les coulures.

Essuyer les coulures sur le chiffon qu’il faudrait ranger humide dans le cartable, quelle drôle d’idée ! Le sport consistait à essuyer nos pinceaux sur la blouse du Navet quand il passait sans bruit dans les rangées. D’où la grande utilité des tabourets à vis. Ben non, bien entendu il ne s’en apercevait pas. La preuve ? Il ne m’a jamais collée…

Alphabet gothique

Clic !

2 commentaires sur “Dessin d’art avec Le Navet

  1. « graines d’asile », l’expression est savoureuse.
    J’aime ce genre d’histoire, elles me rappellent mon enfance (qui est bien loin derrière moi), c’était au temps où… les élèves portaient des blouses grises et où ceux-ci se levaient à l’entrée de l’instituteur en classe… les temps changent, mais nos enfants auront aussi des histoires de « dans ma jeunesse » a raconter à leurs petits enfants. Une petite historiette fait toujours revenir un brin de nostalgie.
    MJM

  2. MJM, nous avons les mêmes ! (souvenirs), et oui, garçons en gris, filles en bleu et je ne me souviens pas une seconde d’en avoir été gênée ! Ne t’ai pas encore croisé dans les rues perrotines, tout va bien ?

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